L'influence du réchauffement climatique et de la sécheresse sur le soulèvement syrien

La Syrie est un pays semi-aride à aride qui a toujours connu des époques de sécheresse. L'analyse des données climatiques montrent que pendant trois années consécutives à partir de 2006-2007 - jusqu'à 2010 dans l'extrême nord-est soit 4 saisons - le "croissant fertile" a connu une sécheresse exceptionnellement aiguë rapportée à la tendance séculaire et conforme aux modèles du réchauffement climatique. Cet épisode de sécheresse a été plutôt mal géré par le gouvernement syrien. Les fondements de cette mauvaise gouvernance sont anciens : depuis la fin des années 60, le parti bassiste a fait des choix insoutenables à long terme en matière de politique agricole, compte tenu des caractéristiques physiques de son territoire, en surexploitant les ressources en eau. La rareté de l'eau est devenu critique dès 2007. La sécheresse a affecté directement jusqu'à 1,5 million de personnes qui ont perdu leurs récoltes ou leurs troupeaux. Ils ont alors migré vers les périphéries des grandes villes sans retrouver d'activités lucratives conséquentes. Le ressentiment de la population rurale, la forte augmentation de la démographie urbaine dans des conditions sociales difficiles ont probablement contribué aux manifestations de l'année 2011.

Un climat aride

Le climat syrien est de type semi-aride à aride. 55% du territoire est couvert par le désert ou la steppe. 90% du pays reçoit moins de 350 mm de pluie par an (1 :  De Châtel, p. 522.). Par comparaison, la France reçoit environ 800 mm annuellement en moyenne (2).

Zones agro-climatiques syriennes. Crédit : Jessica Barnes

Une zone méditerranéenne sensible au réchauffement climatique

Au début de l'année 2016, une analyse basée sur l'étude des cernes de croissance des arbres (3) a pu établir que la sécheresse subie par la zone méditerranéenne de 2007 à 2010 était 50% plus intense que les périodes les plus sèches des 500 dernières années, les chercheurs en évaluent la probabilité à 98% (4 : Cook).

L'hiver est la période traditionnelle où les pays méditerranéens refont leurs stocks d'eau. En 2011, en se basant sur les données pluviométriques du bassin méditerranéen enregistrées depuis 1902, des climatologues ont constaté que la période 1990-2010 avait connu 10 des 12 hivers les plus secs du siècle (5). Ils ont également pu établir que ces observations sont en accord avec les projections des modèles climatiques se basant sur l'augmentation connue des gaz à effet de serre. Observations et modèles montrent un variation soudaine des conditions plus sèches au début des années 70 (6 : Hoerling).
Variation des pluies hivernales dans le bassin méditerranéen
le rouge et l'orange souligne les régions qui ont connu de 1971 à 2010 des hivers significativement plus secs que lors de la période référence de 1902 à 2010. Crédit: NOAA
"Selon les spécialistes locaux de l'environnement, les périodes entre les cycles de sécheresse sont plus courts qu'ils ne l'étaient dans le passé. Dit autrement, la sécheresse frappe la Syrie lors de périodes qui se succèdent plus que par le passé. Le président du conseil de l'association syrienne de l'environnement, l'ingénieur Samir al-Safadi déclare : "la sécheresse est devenue une partie du réchauffement climatique. Par le passé le cycle de la sécheresse affectait la Syrie tous les 55 ans. Puis le cycle a chuté à 27 ans et a encore baissé à 13 ans. Maintenant la sécheresse revient tout les 7 ou 8 ans.""

La sécheresse  une catastrophe pour les récoltes et les fermiers de la péninsule syrienne, pilier agricole de la Syrie

Dans les régions a quatre saisons, le découpage annuel des mesures pluviométriques débute en général en novembre, parfois en septembre. Quand on parle de sécheresse (8), il faut en distinguer trois types: météorologique qui mesure la pluviométrie, agricole qui mesure l'humidité des sols et hydrologique qui mesure le niveau des nappes phréatiques et le débit des cours d'eau.

Syrie découpage administratif. Crédit : cartedumonde.net
La période 2006-2010 a connu trois sécheresses consécutives parfois quatre dans certaines régions. 2007-2008 fut la saison la plus critique : la pluviométrie baissa à 66% de la moyenne long terme. Les régions les plus touchées furent les gouvernorats de Racca (baisse à 55% de la moyenne), Deir ez-Zor (40%) et Hassakeh (34%) au nord-est et l'extrême sud-ouest syrien. (De Châtel, p. 524)
"les pénuries d'eau se sont aggravées année après année. En 2006, les régions du nord-est comme Hassakeh et Qamishli ont été les premières à ressentir les effets du manque de précipitations. Depuis lors, les agriculteurs et les cultivateurs du sud et du sud-est – à l'est et à l'ouest de Deir ez Zor et au sud de Damas, dans la région de Sweida – souffrent d'une diminution importante des précipitations."
"Le nord-est de la Syrie et la région de Badia ont été frappés par la sécheresse la plus grave depuis 40 ans, car il n’a pas plu pendant trois années consécutives."

Période de sécheresse consécutive 2000-2010. Crédit : UNISDR
Fréquence de sécheresse 2000-2010. Crédit : UNISDR
Conséquences de cette sécheresse, les rendements agricoles ont fortement baissé : à la fin de la saison 2007/2008, sur l'ensemble du territoire la production de blé avait baissé de 47%, 82% dans les zones non-irriguées, celle de l'orge servant de nourriture pour les animaux avait fondu de 67% (11 : Erian. p. 27).
En 2008, la récolte de blé s'établit à 2.1 millions de tonnes au lieu de 4.7 en moyenne (dont 3,8 millions de tonnes consommées en interne). La Syrie devint importatrices de blé pour la première fois en 15 ans. (De Châtel, p. 524.)

Selon plusieurs évaluations des Nations Unies, 1.3 millions de personnes furent affectées dont 800 000 durement touchées. Au bout des deux années de sécheresse, les fermiers n'avaient plus de semences, les éleveurs durent tuer ou vendre leurs troupeaux par manque de pâturages et de fourrages. 80% des personnes durement affectées par la sécheresse survécurent grâce à un régime de pain et de thé sucré. Dans le gouvernorat de Raqua, 42% des bébés de moins d'un an souffraient d'anémie. En 2010, le haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés estima que 3.7 millions de personnes sur 22 millions d'habitants vivaient en insécurité alimentaire. (De Châtel,  p. 525.)

Hausse des prix alimentaires, écoles désertées et migrations vers la périphérie des grandes villes

"Ceux qui possèdent du bétail ont vu le prix du fourrage augmenter de 75 pour cent, selon la FAO"
"la diminution de la production alimentaire a entraîné une augmentation du prix des vivres, de la malnutrition, des migrations en provenance des régions rurales, du taux d’abandon scolaire et des pressions exercées sur le marché du travail par les agriculteurs, qui cherchent un autre emploi."
"« La réduction de la quantité de blé et d’orge disponible a contribué à faire grimper les prix des produits alimentaires sur le marché syrien », a indiqué M. Mawazini  chargé de communication publique du Programme alimentaire mondial (PAM) en Syrie."
"« Les éleveurs et les agriculteurs ont vendu leurs biens : leurs terres, leurs bêtes, leurs maisons, leurs meubles, leurs bijoux, tout cela à bas prix », a expliqué M. Bin Yehia représentant de la FAO en Syrie. « Les plus touchés sont les plus pauvres (...)»"
"La sécheresse dans l’est et le nord-est de la Syrie ont poussé quelque 300 000 familles à s’installer dans des agglomérations telles qu'Alep, Damas et Deir ez Zor pour chercher du travail. Il s’agit de l'un des plus importants déplacements internes des dernières années au Moyen-Orient."
"La sécheresse a également forcé 250 000 à 300 000 familles (soit au moins 1,25 à 1,5 million de personnes) à quitter leurs villages, et ces familles sont aujourd’hui concentrées dans les banlieues de Damas et d’autres villes comme Aleppo et Daa’ra, d’après Mohamad Alloush, directeur du département environnement de la Commission nationale de planification. « Ces personnes ne possédaient plus rien dans leurs village, et elles vivent aujourd’hui dans une grande pauvreté », a-t-il dit."

En 2009, 60 à 70% des villages d'Hassakeh et de Deir ez-Zor étaient désertés. (De Châtel, p. 527)

Même près d'Alep, Gary Nabhan rapporte en 2010 que 160 villages furent abandonnés (13) . Tous ces chiffres sont probablement sous-évalués car les migrants à destination du Liban n'ont pas été pris en compte. Ces migrants sont allés vivre dans des tentes de fortune, illégales, sans eau, ni électricité ni sanitaires, à la périphéries des grandes villes de Damas et Alep ou dans les gouvernorats du sud.

La politique agricole syrienne, des décennies de gestion productiviste et finalement insoutenable

(14 :  Barnes ,  p. 521 - 525.)
(De Châtel, p. 528 - 532.)

L'origine du parti bassiste est rurale. Ses dirigeants fondateurs et sa base populaire sont issus des campagnes. Quant au syndicat des paysans il est encore aujourd'hui une grande force d'influence politique et bureaucratique. Inspiré par l'Union soviétique au démarrage, le parti bassiste a tiré sa légitimité et affermit son contrôle du pays en promouvant un socialisme agraire puis une politique agricole ambitieuse. Le gouvernement a toujours investi largement dans des schémas d'irrigation à grande échelle et dans la mise en culture des terres inexploitées.

Jusqu'en 1987, l'état était dirigiste et décidait du moment, du lieu, du type de cultures, de leur rotation et du prix des récoltes. Ensuite l'état a effectué une libéralisation partielle mais conserva le contrôle de sept cultures stratégiques.

Depuis 1975, l'objectif premier et respectable de la politique agricole fut l'auto suffisance alimentaire pour les denrées essentielles. Elle fut atteinte pour le blé en 1994. Le deuxième objectif de la politique agraire fut un investissement massif dans les infrastructures d'irrigation pour augmenter la production agricole. 90% de l'eau disponible va à l'agriculture (70% en France) et pourtant seulement 22% des terres cultivées sont irrigués bien qu'elles aient doublé de surface depuis 1985 pour atteindre 1.35 millions d'hectares en 2010.

Le blé et l'orge compte pour 60% des terres cultivés, 45% du blé est irrigué, cela permet une multiplication par quatre des rendements. L'orge destinée au fourrage est essentiellement une culture pluviale. En contradiction à la volonté d'auto-suffisance et de sécurité nationale, la Syrie a aussi cherché à produire pour l'exportation dans le but d'acquérir des devises internationales nécessaires à ses importations. Le coton destiné à l'exportation fut érigé au rang de culture stratégique et bien qu'il compte pour seulement 5% des terres cultivées, il utilise 32% de l'eau d'irrigation. Il faut plus de 5000 litres pour produire 1 kg de coton contre 590 litres pour produire 1 kg de blé (15). L'usage intensif de l'irrigation sur le coton augmenta la salinité des terres agricoles et y exacerba la rareté de l’eau (16 : Saleeby).

Les nappes phréatiques servent pour 60% des terres irriguées. Depuis les années 70, les paysans ont foré des milliers de nouveaux puits. De 1999 à 2006, le nombre de puits est passé de 133 000 à 213 000. A chaque décennie, les quantités extraites ont été multiplié par cinq. Dans certains gouvernorats, on a relevé une baisse des niveaux des aquifères de plus de 100 mètres en 50 ans. Les paysans ont toujours bénéficié de prêts bon marché et détaxés pour investir dans les puits. Le diesel pour les pompes était jusqu'en 2008 largement subventionné. Depuis les années 80, our contrôler l'extraction de l'eau, le gouvernement a fait passer plusieurs lois afin de réglementer le forage des puits. En 2005, dans l'optique d'un contrôle plus strict, la licence, obligatoire pour exploiter un puits, est devenue annuelle. Cette réglementation a surtout encouragé la corruption des fonctionnaires locaux; en 2010, 57% des puits était encore illégaux.

En 38 ans, le parti bassiste a fait érigé 160 barrages. Dans le plan quinquennal en 2001, 28 barrages étaient prévu à la construction. Seulement 20% des terres sont irriguées avec des techniques efficientes du type goutte à goutte. Les pertes sur les réseaux d'irrigations sont de 10 à 60% du débit.

La demande croissante en eau et la continuelle expansion des zones irriguées a crée un déficit en eau. En 2007, l'eau disponible était évaluée à 15.6 milliards de mètres cube, l'eau consommée à 19,2 milliards. Le déficit de 3.52 milliards fut compensé par l'eau des nappes phréatiques et des réservoirs des barrages. L'eau disponible par habitant et par an est de 882 mètres cube, un niveau plaçant la Syrie au rang des nations à faible approvisionnement. Les nappes phréatiques du gouvernorat d'Hassakeh sont vides, la rivière Khabur dans cette même province ne coule plus l'été.

A la lecture de ces chiffres, on comprend que la rareté de l'eau, plutôt qu'être une caractéristique du pays, est attribuable à la promotion gouvernementale du secteur de l'agriculture irriguée. Le gouvernement syrien a promis une auto suffisance alimentaire que les terres ne pouvaient pas fournir (Saleeby).


Libéralisation, difficultés à réguler et contexte économique adverse

(De Châtel)
(Saleeby)

A partir de 1986, commença en Syrie un mouvement inverse des décennies précédentes : une tentative de libéralisation de l'économie et de dérégulation  de la politique agricole.

A la suite de son père, Bashar el-Assad tenta de moderniser son économie en prenant exemple sur la voie chinoise du développement : conserver une stabilité politique en maintenant la règle d'un parti unique tout en lançant des réformes de marché. L'objectif du président était de passer d'une économie planifiée et centralisée à une économie de marché socialisée en ouvrant le pays aux marchés mondiaux dans l'espoir d'intégrer l'OMC.

A partir de l'année 2000, le gouvernement syrien dérégula le secteur agricole. Selon l'économiste syrien Samir Aita (17), il permit a des gros investisseurs agricoles, amis du gouvernement, d'acheter des terres et de pomper autant autant d'eau qu'ils voulaient ce qui finalement diminua sévèrement les ressources en eau. Ce mouvement de libéralisation conduisit à une réduction importante du nombre d'emplois dans le secteur agricole. Entre 2001 et 2007, essentiellement pendant les années 2004-2005, l'agriculture perdit 1/3 de ses emplois alors que dans le même temps le PIB agricole augmentait de 9%.

Dans ce contexte de déréglementation agricole, la non protection des droits de propriété des petits agriculteurs permit aux éleveurs de sur pâturer des terres de plus en plus fragiles. La privatisation éroda le droit coutumier sur les limites de propriété. L'augmentation de la demande locale et internationale en viande et en produits laitiers entraîna le pâturage et la culture de grain et d'orge utilisés exclusivement pour l'alimentation des bovins et des moutons. En fournissant des aliments subventionnés aux éleveurs, l'État les encouragea à conserver des troupeaux plus importants que l'environnement naturel ne pouvait soutenir. Tout comme pour les cultures «stratégiques» subventionnées, les aliments subventionnés ont superposé un mythe de prospérité sur une réalité de désertification et de dégradation des sols.

Malheureusement, ces réformes se firent à contretemps. La production pétrolière était déclinante et entraina une baisse des revenus des exportations pétrolières. Le monde connut une hausse des prix des matières premières agricoles importante.

Syrie, production et consommation de pétrole - agence américaine d'information sur l'énergie. Crédit : Tvalberg (18)

Syrie, production et exportations de pétrole - département américain de l'énergie. Crédit : OFCE (19)

Crédit : Jancovici (20)

En mai 2008, alors que la sécheresse était dans sa deuxième année et face à son déficit budgétaire, le gouvernement supprima les subventions au diesel, son prix fut multiplié par 3,7. Beaucoup de fermiers du nord-est arrêtèrent d'irriguer leurs champs faute de pouvoir alimenter leurs pompes, d'autres encore ne purent transporter leur récolte sur les marchés. En mai 2009,  les prix des fertilisants furent libéralisés et multipliés par 2 (De Châtel p. 526).

En 2008, 25% de la population active et 50% des jeunes étaient au chômage.

La politique du gouvernement syrien face à la crise


Le gouvernement syrien fit appel à l'aide internationale mais en 2008 seulement 20% des 20 millions de dollars prévus furent reçus et 33% des 43 millions de dollars demandés en 2009. Une des raisons du manque de fonds internationaux fut que le gouvernement minimisa l'ampleur de la crise. Les donateurs furent largement ignorants de son ampleur et se plaignirent du manque de transparence gouvernementale quant à sa stratégie pour gérer les effets de la sécheresse. En effet, le gouvernement avait approuvé en 2006 un plan stratégique de lutte contre la sécheresse, préparé depuis 2000, mais il ne fut jamais mis en place. Le ministre de l’irrigation lui-même remit en cause la sévérité de la sécheresse en novembre 2009 (De Châtel p. 527 - 528).
"Le gouvernement fournit des « efforts considérables » pour aider les populations « mais la catastrophe a été trop immense, et comme toute urgence, elle nécessite [une aide] et une solidarité internationale », a dit M. Bin Yehia."

L'aide gouvernementale se concentra tardivement sur les populations des gouvernorats affectés du nord-est mais négligea les populations ayant migré dans les périphéries des grandes villes.
"D’après M. Bin Yehia, les autorités ont distribué des paniers alimentaires aux personnes affectées, les ont dispensées de payer des taux d’intérêt ou ont modifié les échéances de remboursement des prêts."

"Les migrants furent encouragé à retourner dans leurs régions touchées par la sécheresse en échange d'argent, d'aide au transport et de promesses d'assistance alimentaire. [...]Aucune aide ne fut fourni directement aux villages de tentes." 
De Châtel, p. 527

Le gouvernement a muselé la couverture médiatique du problème et diffusé un discours où les responsabilités ont été mises sur le dos du changement climatique, de la crise financière mondiale, occultant les décennies de mauvaise gestion de l'eau. Après juin 2009, les journalistes étrangers cornaqués par des guides ne purent se rendre dans les banlieues de Damas, Dara'a et Suweida où se trouvaient la majorité des camps de migrants mais furent envoyer à Raqqa et Hassakeh où ils purent interviewer des villageois. Peu réussirent à obtenir des entrevues avec les membres du gouvernement (De Châtel 2014 p. 528).

Le chaudron des périphéries urbaines

Avec environ 500 000 familles déplacées suite à la sécheresse, 2 à 3 millions de syriens vivant dans l'extrême pauvreté et  sans filets de sécurité sociale,  il n'est pas étonnant que l'agitation populaire est finalement germée.
"Il est logique de conclure que les pressions croissantes sur les zones urbaines due à la migration interne, l'insécurité alimentaire grandissante et les taux élevés de chômage qui en résultèrent, incitèrent de nombreux Syriens à faire connaître publiquement leurs revendications politiques. Les villes syriennes ont été un point de rencontre des réclamations des migrants ruraux déplacés et des résidents urbains en difficulté, elles sont venues remettre en question la nature même et la répartition du pouvoir."
(Saleeby)
"Les 1,5 millions de syriens ayant migré à cause de la sécheresse se sont rajoutés à une démographie urbaine déjà galopante de +2,5% par an et aux 1,5 millions de réfugiés irakiens arrivés entre 2003 et 2007 dont la plupart arrivèrent à la fin de cette période, c'est à dire au début de la sécheresse. En 2010, toutes ces personnes représentaient 20% de la population urbaine syrienne. En 2002, la population urbaine était de 8,9 millions; en 2010 ce chiffre avait augmenté de plus de 50% pour atteindre 13,8 millions une augmentation bien plus importante que celle de la population syrienne prise dans son ensemble. La hausse importante de la population des zones urbaines  aggrava encore la contrainte sur leur ressources. Les zones périphériques urbaines grandissant rapidement, marquées par des implantations illégales, la surpopulation, des infrastructures manquantes, le chômage et le crime furent négligées par le gouvernement syrien et devinrent le cœur du soulèvement. De plus, la migration en réponse à la sécheresse exacerba aussi d'autres facteurs souvent cités comme ayant contribué au soulèvement :  la corruption et une inégalité omniprésente."
(21 : Kelley)

Conclusion

Le soulèvement syrien a été suscité par des facteurs politiques, économiques, sociaux, climatiques et environnementaux interdépendants.

L'équipe de Colin P. Kelley écrit:
"Il est impossible de savoir si la sécheresse fut un facteur primaire ou substantiel au soulèvement mais une sécheresse peut avoir des conséquences dévastatrices quand elle est couplée à une sévère vulnérabilité déjà préexistante causée par de mauvaises politiques et des pratiques d'usage de la terre insoutenables dans le cas de la Syrie et prolongée par une réponse lente et inefficace du gouvernement syrien. (...) La littérature sur les conflits soutient qu'un changement démographique accéléré favorise l'instabilité et qu'il existe un lien statistique entre climat et conflit."
Pour Francesca De Châtel c'est surtout le fait que 50 ans de mauvaise gestion et de surexploitation des ressources ont causé leur épuisement puis la déchéance et le mécontentement des communautés rurales:
"La sécheresse n'est pas un événement exceptionnel en Syrie, les pays voisins (Irak, Israêl, Liban, Jordanie, Palestine) furent aussi affecté par l'épisode 2007-2008. Pourtant seule la Syrie connu une crise humanitaire qui forma un des déclencheurs du soulèvement, en nourrissant le mécontentement qui couvait depuis longtemps dans les zones rurales. C'est l'échec du gouvernement syrien à s'adapter aux réalités environnementales, économiques et sociales changeantes qui conduisit certains Syriens dans la rue."
Dans un article du New York Times de mai 2013, Thomas L. Friedman résume ainsi le problème syrien:
"Le désastre syrien est comme une super tempête. C'est ce qui arrive quand un événement météorologique extrême, la pire sécheresse dans l'histoire moderne syrienne se combine avec une population en forte croissance et un régime corrompu, répressif, et relâche des passions religieuses et sectaires extrêmes financées par des pouvoirs extérieurs rivaux - Iran et Hezbollah d'un côté, Arabie Saoudite, Turquie et Qatar de l'autre, chacun ayant un énorme intérêt que son allié syrien vainque l'allié de l'autre camp - à un moment où les États-Unis, dans leur phase post Irak/Afghanistan sont extrêmement méfiants à l'idée d'être impliqués."
_____________________________________________________

1.
DE CHÂTEL, Francesca. The Role of Drought and Climate Change in the Syrian Uprising: Untangling the Triggers of the Revolution. Middle Eastern Studies. 4 juillet 2014. Vol. 50, n° 4, pp. 521‑535. DOI 10.1080/00263206.2013.850076.

2.

3.
AMERICAN GEOPHYSICAL UNION NEWS. Drought in eastern Mediterranean worst of past 900 years. 1 mars 2016.

4.
COOK, Benjamin I., ANCHUKAITIS, Kevin J., TOUCHAN, Ramzi, MEKO, David M. et COOK, Edward R. Spatiotemporal drought variability in the Mediterranean over the last 900 years: MEDITERRANEAN DROUGHT VARIABILITY. Journal of Geophysical Research: Atmospheres. 16 mars 2016. Vol. 121, n° 5, pp. 2060‑2074. DOI 10.1002/2015JD023929.

5.
NATIONAL OCEANIC AND ATMOSPHERIC ADMINISTRATION NEWS. NOAA study: Human-caused climate change a major factor in more frequent Mediterranean droughts. 27 octobre 2011.

6.
HOERLING, Martin, EISCHEID, Jon, PERLWITZ, Judith, QUAN, Xiaowei, ZHANG, Tao et PEGION, Philip. On the Increased Frequency of Mediterranean Drought. Journal of Climate. mars 2012. Vol. 25, n° 6, pp. 2146‑2161. DOI 10.1175/JCLI-D-11-00296.1.

7.
ALI, Masoud. Years of Drought: A Report on the Effects of Drought on the Syrian Peninsula - Environmental Justice. Heinrich Böll Stiftung Middle East [en ligne]. 3 mars 2014.

8.
FUTURA SCIENCES. Sécheresse.

9.
INTEGRATED REGIONAL INFORMATION NETWORKS. Plus d’un million de personnes touchées par la sécheresse. 17 février 2010.

10.
INTEGRATED REGIONAL INFORMATION NETWORKS. La réponse à la sécheresse confrontée à un manque de financements. 24 novembre 2009.

11.
ERIAN, Wadid. DROUGHT VULNERABILITY IN THE ARAB REGION Case Study - Drought in Syria Ten Years of Scarce Water (2000 – 2010). United Nations Office for Disaster Risk Reduction - UNISDR. avril 2011.

12.
INTEGRATED REGIONAL INFORMATION NETWORKS. Les difficultés alimentaires, conséquences de la sécheresse. 22 février 2009.

13.

14.
BARNES, Jessica. Managing the Waters of Baՙth Country: The Politics of Water Scarcity in Syria. Geopolitics. 21 août 2009. Vol. 14, n° 3, pp. 510‑530. DOI 10.1080/14650040802694117.

15.

16.

17.
FRIEDMAN, Thomas L. Without Water, Revolution. The New York Times. 18 mai 2013.

18.
TVERBERG, Gail. Oil and Gas Limits Underlie Syria’s Conflict. Our Finite World. 9 septembre 2013.

19.
ANTONIN, Céline. Pétrole : la poudrière syrienne. Revue de l’OFCE. 12 mars 2014. N° 130, pp. 155‑164.

20.
JANCOVICI, Jean-Marc. De Daesch à la COP 21. 19 novembre 2015.

21.
KELLEY, Colin P., MOHTADI, Shahrzad, CANE, Mark A., SEAGER, Richard et KUSHNIR, Yochanan. Climate change in the Fertile Crescent and implications of the recent Syrian drought. Proceedings of the National Academy of Sciences. 17 mars 2015. Vol. 112, n° 11, pp. 3241‑3246. DOI 10.1073/pnas.1421533112.

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